Manger l’Autre

Manger l’autre est une allégorie de notre société, obsédée par le culte de l’image, le plaisir, la surconsommation et le monde virtuel qui font de nous, des bêtes de foires qui n’ont qu’un désir, s’exhiber. Nous avons inventé l’enfer !

La lune de lait fut brève, dira-t-elle en introduction.
Car elles étaient deux à se vautrer dans l’utérus, mais une à en être expulsée. L’autre, celle qu’elle affuble de tous les noms, sa jumelle fœtale et fatale, sa sœur semi-fictive, sa siamoise secrète, ma jumelle indésirablecelle qui a décidé qu’il n’y avait pas assez de place dans le ventre de ma mère, n’est pas!
Et pourtant le père, auteur à succès de livre de cuisine, les voit en double, nourrit la survivante en double et n’a qu’un souhait, faire de SES filles, des gastronomes en couches.
La mère rejette cette fille oubliée. Son surpoids sera sa manière d’affronter la vie et de survivre jusqu’à ce que l’amour se pointe et lui fasse  découvrir cette autre forme d’appétit où sa chambre, dont elle ne peut s’extraire, deviendra un lieu d’hédonisme débridé.

Un extrait pour donner la couleur 

Papa, fée de la cuisine. Qui me condamne à mourir à brève échéance.

Le retour à ma chambre est une montée vers l’échafaud. (…) Demain, me dis-je, demain je commence un régime. Mais, au matin l’odeur des œufs au plat et du bacon monte jusqu’à ma chambre et je n’ai qu’une envie : manger. Manger encore, manger comme haute ambition, manger comme but ultime, manger comme personne ne l’a jamais fait, manger parce que l’alternative est de mourir dans la sécheresse du corps et du cœur et parce qu’on va mourir quand même, bouche dévoreuse, langue saliveuse, estomac infini, je ne suis qu’un ventre, c’est là tout ce que je suis, rien d’autre, pas de promesse d’avenir, pas l’ombre d’un bonheur ne se profile sur mon horizon, la fin est permanence comme la faim ! (95)

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :

Une jeune adolescente, née obèse, mange, grossit et s’isole. Sa mère s’enfuit, horrifiée par son enfant. Ses camarades de classe la photographient sans répit pour nourrir le grand Œil d’internet. Son père, convaincu qu’elle aurait dévoré in utero sa jumelle, cuisine des heures durant pour nourrir «  ses princesses  ». Seule, effrayée par ce corps monstrueux, elle tente de comprendre qui elle est vraiment. Quand elle rencontre par accident l’amour et fait l’expérience d’autres plaisirs de la chair, elle semble enfin être en mesure de s’accepter. Mais le calvaire a-t-il une fin pour les êtres «  différents  » ?

À propos de l’auteure :
Ananda Devi est une femme de lettres d’origine mauricienne, docteur en anthropologie, romancière, polyglotte, Ananda Devi choisit d’écrire en français.

Titre : Manger l’autre
Auteure : Ananda Devi
Éditeur : Grasset
Date de parution : 2019

Le cahier de recettes

Des centaines de cahiers ou de livres de recettes se discutent l’espace-tablette de ma Librairie. Voici un véritable coup de cœur pour tous amateurs de littérature gourmande !

Un voyage nostalgique dans le temps qui sollicite tant l’esprit que les papilles et le cœur. Un livre d’amour entre le père, le fils et en filigrane une mère absente.
La transmission de la cuisine française – celle de l’époque, celle des tripiers, et dira-t-il  « Le respect des animaux, c’est important, mort et vivant. Plus encore en cuisine. »
Celle des tripiers, de la hampe-frite au menu et celle du cépage Noah, ce cépage interdit depuis les années 1930 en France – il rend fou, parait-il !

Des recettes camouflées sous quelques lignes littéraires, recettes de crêpes, de mousse au chocolat, de bolognaise, de bœuf aux carottes … ou ce ne sont pas les ingrédients que les gestes du maître qui valent la lecture.

J’ai particulièrement apprécié ce livre… avec quelques irritants dont les références à une vie qui se déroule à Paris…  (Avec l’empressement d’un gardé à vue qui vient de signer son P.-V de sortie). (A ton âge, j’étais obligé de marner dans un fournil…) et surtout (les senteurs de l’été indien – me fait toujours grincer des dents – ils comprendront peut-être un jour que cette expression n’est pas de Jo Dassin mais bien issue de la réalité québécoise. !

Un extrait pour donner la couleur 

On boit, on bouffe, on se gave, on flirte, on dégueule, on reboit. Et toi, tu turbines dans ta cuisine. Tu dresses des coupes de sorbet avec des tuiles. … Fais pas ça mon fils !

Tu prends un poêlon dans lequel tu verses une pluie de sucre en poudre qui fond, ça sent le caramel, tu retires le poêlon du feu et ajoutes du beurre, puis de la crème. Tu étales ce mélange sur une crêpe, dans lequel je mords à pleines dents

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :
Monsieur Henri, le charismatique patron du restaurant le Relais fleuri, s’est toujours opposé sans explication à ce que son fils Julien devienne cuisinier. Quand il sombre dans le coma, Julien n’a plus qu’une obsession : retrouver le cahier où, depuis son enfance, il a vu son père consigner ses recettes et ses tours de main. Il découvre alors d’autres secrets et comprend pourquoi Henri a laissé partir sa femme sans un mot. Avec ce roman, Jacky Durand nous offre le magnifique portrait d’un homme pour qui la cuisine est plus qu’un métier : le plaisir quotidien du partage et l’art de traverser les épreuves. Une tendre déclaration d’amour filial, une histoire de transmission et de secrets, où, à chaque page, l’écriture sensuelle de l’auteur nous met l’eau à la bouche

À propos de l’auteur :
Jacky Durand est journaliste culinaire. Depuis des années, il sillonne la France pour ses chroniques culinaires dans Libération

Titre : Le cahier de recettes
Auteur : Jacky Durand
Éditeur : Stock
Date de parution : Avril 2019

Dîner à Montréal

Pense à moi quelquefois !

Je n’avais jamais lu Philippe Besson! Mais quel titre accrocheur pour un blogue culinaire : Dîner à Montréal !

Quatre convives autour d’une table dans un restaurant du Village. Paul et Philippe, ex-amants, également l’épouse de l’un et le jeune amant de l’autre. Le cinéma aime ces situations, dialogues hachurés, regards furtifs, échanges équivoques… ici, Philippe Besson intensifie ces instants impudiques et la lecture de ce roman est un bonheur de mise en situation.

La rumeur effervescente du restaurant, le tintement des verres, l’intervention inopinée des serveurs et toujours, les souvenirs douloureusement présents de cet amour où la jeunesse offrait un sauf-conduit. Nonobstant ces échanges courtois et banals qui pourraient combler les longs vides, la totalité de l’espace est occupé par cette déchirante histoire d’amour des deux amants qui se retrouvent pour la première fois depuis 17 ans. Une écriture empreinte d’intimité loin des conventions admises. Et, en finale, l’auteur impitoyable dira Tout était dans le passé et allait y rester.

 

Un extrait pour donner la couleur 

Une serveuse s’approche de notre table et nous demande si nous sommes prêts à commander. Chacun de nous jette un coup d’œil rapide à la carte et annonce son choix. Je m’amuse à constater qu’Antoine et Paul ont commandé la même chose (un burger frites) et qu’Isabelle et moi avons opté pour la même salade. Pour un type comme moi, convaincu que l’essentiel gît dans les détails et les gestes ordinaires, c’est presque trop insignifiant. (71)

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :
Deux anciens amants se retrouvent presque par hasard à Montréal, dix-huit ans plus tard. Qui sont-ils devenus ? Sont-ils heureux, aujourd’hui, avec la personne qui partage désormais leur vie? Au cours d’un dîner de retrouvailles, à quatre, les souvenirs ressurgissent avec les non-dits, les regrets, la conscience du temps qui passe, mais aussi l’espérance et les fantômes du désir.

À propos de l’auteur
Philippe Besson est un écrivain, dramaturge et scénariste français. Il a été également critique littéraire et animateur de télévision. En 2017, il totalise 18 romans, dont plusieurs ont été adaptés pour le cinéma ou le théâtre, de plus, il a participé à l’écriture du scénario de plusieurs téléfilms.

Titre : Dîner à Montréal
Auteur : Philippe Besson
Éditeur : Julliard
Date de parution : 2019

Sept petites douceurs

Tout en sachant que l’impudeur est payante en littérature, dans ce cas-ci, nous recommandons au lecteur chaste de s’abstenir !

Rarement dans notre sélection, livre n’aura évoqué autant la jouissance du corps mâle associé à quelques délicieuses dolce !
En effet c’est le corps de l’homme qui exulte à travers Sept petites douceurs, et surprenamment, y  est associé une recette gourmande notamment de Fondue de chocolat : cassez cent cinquante grammes de chocolat noir en petits morceaux et faites-les fondre sur un plateau de cuisson garni de papier sulfurisé…  Ses références amoureuses plaisent, celles de Gertrude Stein et Alice Toklas, de Picasso et ses femmes, de Socrate en attente du banquet d’Agathon. Et, dira-t-il, « chaque repas doit être un événement », et croyez-moi, plus on avance dans la lecture plus on y croit.

 

Un extrait pour donner la couleur

Hier soir, après le retour de mon amant chez sa maîtresse, pour oublier cet amour qu’il me donne comme cet amour que je lui donne encore, je me suis consolé en me préparant un gâteau au chocolat et à la noix de coco, glacé au rhum. L’appartement était tranquille, les voisins du dessus n’étaient pas rentrés du travail, les enfants d’à côté, du cinéma. La rage, la peur pouvaient se déchaîner, se décharger de tout le tapage qu’elles font habituellement dans mon esprit, comme les ténèbres au-dessus de l’abîme. Car n’est-ce pas la solitude du chaos qui a poussé Dieu à la création ?

 

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :
Londres. Un homme raconte sa relation amoureuse et érotique avec un homme marié.
Pour retenir son amant, pour s’assurer qu’il reviendra, il lui prépare cookies et gâteaux. Le narrateur n’hésite pas à en donner les recettes afin de renforcer la sensualité de la relation. Sept recettes de petites douceurs parsèment donc le roman. Il s’organise ainsi une narration où se mêlent homo-érotisme et sensualité, les cookies et les gâteaux sortant tout juste du four quand l’amant arrive. Entre scènes à l’érotisme cru et recettes de petites douceurs gourmandes, la relation amoureuse évolue dans toutes ses composantes passionnelles. Sept petites douceurs est une ode à l’amour, à l’harmonie des corps, à la relation de l’homme avec la beauté et l’art, et aussi à l’exil.

À propos de l’auteur :
Shaun Levin est né en 1963 en Afrique du Sud. Il a passé de nombreuses années en Israël et vit à Londres depuis 1995. Dans son œuvre, il aborde les thèmes de l’immigration et des expériences traumatiques ainsi que la question de l’identité, en particulier à travers la sexualité. Seven Sweet Things, est paru en 2003.

Titre : Sept petites douceurs
Auteur: Shaun Levin
Éditeur : L’antilope
Date de parution : 2019
Traduit de l’Anglais : Etienne Gomez – Seven Sweet Things

La goûteuse d’Hitler

La goûteuse d’Hitler

L’horreur racontée par la dernière des goûteuses recrutées par Hitler dans le seul but d’éviter un possible empoisonnement à ce monstre.
Une lecture qui nous bouleverse par le traitement réservé à ces jeunes femmes qu’on affamait avant de leur imposer ces assiettes de la mort. Une lecture ou la peur et la haine rôdent à tous les niveaux.

J’ai été incapable de visionner plus de deux épisodes de la Servante écarlate, adaptation du chef-d’œuvre littéraire de Margaret Atwood. De nouveau, je retrouve cette ambiance où l’horreur est omniprésente et où la honte et la paranoïa s’entrecroisent sournoisement. Vous serez avertis… à vous de tirer vos déductions.

Un extrait pour donner la couleur 

« Il ne m’avait jamais vue de près ni de loin, le Führer. Et il avait besoin de moi. Herta avait essuyé ses mains à son tablier et le SS avait poursuivi, en s’adressant à moi, ne regardant que moi, jaugeant cette main-d’œuvre de saine et robuste constitution. Certes la faim m’avait un peu affaiblie, la nuit les sirènes m’avaient privée de sommeil, la perte de tout et de tous avait flétri mes yeux. Mais mon visage était rond, sous une épaisse chevelure blonde : jeune Aryenne déjà matée par la guerre, l’essayer c’est l’adopter, produit cent pour cent national, une excellente affaire. (20)

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :
1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé à l’idée que l’on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa. Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s’exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l’étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l’hostilité de ses compagnes, dont Elfriede, personnalité aussi charismatique qu’autoritaire. Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c’est à la fois vouloir survivre et accepter l’idée de mourir.

À propos de l’auteure :
Rosella Postorino est une auteure italienne née en 1978

Titre : La goûteuse d’Hitler
Auteure : Rosella Postorino
Éditeur : Albin Michel
Date de parution : 2019
Traduction : Dominique Vittoz

Le goût sucré des souvenirs

Souvenirs d’une si triste période qui malgré tout conserve un goût sucré… une longue vie au rythme des productions de confitures d’abricots ! Les amours, les saisons, les années… celles où la guerre a balayé le bonheur des jours heureux.
Seule survivante d’une famille juive, solitaire en fin de vie, Elisabetta puise dans ces pots de confitures ces souvenirs parfois trop bouleversants, parfois trop cruels. Celui de 1944, ou sa mère dira : au cas où je ne puisse pas t’aider, je vais cacher le pot au fond, il y aura de l’arsenic dedans… A & A, était-il écrit dessus… une cuillère suffit… … ! Et tous ces joyeux moments s’entremêlent à cette horreur, en compagnie de sa mini- tortue prénommée Hitler!! Passer d’une époque a une autre, à travers ses fantômes en fait une lecture un peu angoissante !! mais si vous aimez le goût doucereux du sucre, allez-y déguster cet opus !

Un extrait pour donner la couleur 

« La confiture était en train d’attacher. C’est l’odeur qui m’a alertée, et je me suis empressée de retirer la casserole du feu. Il m’a regardée remplir les pots du liquide sifflant en ébullition. Elle me brûlait les avant-bras, cette fichue confiture. Un pot a craqué dans un bruit sourd sous l’effet de la chaleur, et la mixture visqueuse s’est déversée sur mes doigts. Le fond de la casserole était carbonisé parce que je n’avais pas fait attention. J’en avais marre de faire attention.»  (p. 37)

Quelques notes de l’éditeur (4e de couverture) :
Elisabetta Shapiro, quatre-vingts ans, vit seule dans sa maison familiale au cœur de Vienne. De son enfance, elle a conservé des dizaines de pots de confiture d’abricot. Tous sont soigneusement étiquetés et indiquent l’année de leur fabrication. Véritable madeleine de Proust, la confiture fait immanquablement jaillir les souvenirs : les jours tranquilles rythmés par les chants de sa mère, Franz, le voisin dont elle était follement amoureuse, ses grandes sœurs qu’elle jalousait secrètement. Et puis la montée du nazisme dans les années 1930, l’arrestation de toute sa famille par les SS, la solitude et la perte des repères. Quand Pola, une jeune danseuse, emménage chez la vieille dame, ses habitudes sont chamboulées. Malgré leurs différences, les deux femmes vont peu à peu se rapprocher et nouer des liens plus forts qu’elles ne l’auraient imaginé. Elle parle d’amour et de liberté, et il n’en faut pas plus pour faire une bonne histoire. »

À propos de l’auteure :
Beate Teresa Hanika est née en 1976, en Bavière. Avant Le Goût sucré des souvenirs, elle a écrit plusieurs romans pour la jeunesse dont Le cri du petit chaperon rouge.

Titre : Le goût sucré des souvenirs
Auteure : Beate Teresa Hanika
Éditeur : Pocket
Date de parution : Février 2019
Traduit de l’allemand : Rose Labourie